James Watson disait d’elle : « Elle a franchement un mauvais caractère ! ».
Trop facile quand on veut nuire à l’autre que de critiquer son caractère. Mais il est certain que Rosalind a du caractère et heureusement d’ailleurs car il le faut bien forgé quand on est une jeune anglaise qui décide de plonger dans le monde de la science à une époque où à peine 5 % de filles parvient à obtenir leur doctorat contre 95% de garçons. Et quand en plus on a un père qui pense que les études supérieures ne sont pas faites pour les femmes ! Il lui a en fallu du caractère pour poursuivre ses études scientifiques pendant ces années de guerre alors que ses professeurs même s’ils reconnaissent ses qualités, n’ont aucune tendance à l’encourager. D’ailleurs personne ne l’aide et on est absolument persuadé en Angleterre que la science n’est pas un domaine où les femmes peuvent s’exprimer.
Pourtant en 1945, elle obtient son doctorat en Physique-Chimie à Cambridge. Elle a d’ailleurs un sujet de thèse qu’elle domine : la porosité des structures carbonés. Son ambition la pousse à devenir la grande spécialiste internationale du sujet et donc de poursuivre des études de cristallographie. La guerre est finie, elle peut enfin partir pour Paris pour un « post doc » au CNRS et poursuivre ses recherches au Laboratoire central des services chimiques de l’Etat. Paris c’est formidable, c’est une ville qui se relève à peine de la guerre, mais qui est accueillante pour une fille qui se lance dans la chimie. Et oui, Marie Curie est passée par là ! Elle a laissé son souvenir en rapportant à la Patrie ses deux Prix Nobel et tout le monde sait en France qu’une femme peut être au plus haut niveau de la recherche. Rosalind apprend à dominer les techniques de diffraction des Rayons X entre la Tour Eiffel et l’Opéra Garnier ; il s’agit de déterminer avec précision les structures du carbone, notamment du graphite en utilisant les rayons X pour analyser ses coupes. Elle devient la grande spécialiste de cette diffractométrie aux rayons X qui permet de reconstituer précisément et en trois dimensions toutes molécules chimiques un peu complexes. Elle manie parfaitement les rayons X, comme Marie Curie, trop sans doute, comme son modèle. Elle va payer très cher plus tard cette irradiation.
Mais nous sommes en 1948 et le monde scientifique est agité par un tout autre sujet que celui des cristaux de carbone. En réalité depuis le début du XXe siècle et les travaux de Walter Sutton, on sait que ce sont les chromosomes du noyau cellulaire qui portent l’information génétique, ces fameux « caractères » dont le moine Mendel avait génialement décrit les lois et le comportement en 1856. Mais chimiquement sous quelle forme ? On sait qu’il y a de l’ADN dans le noyau des cellules mais personne ne peut penser qu’une telle molécule composée de substances aussi basiques que des sucres, des phosphates et des bases azotées, peut être porteuse d’un message aussi complexe et subtil que la transmission des caractères héréditaires. Elle doit plutôt être là pour apporter de l’énergie et les caractères génétiques sont certainement situé sur des protéines, molécules beaucoup plus nobles et complexes. C’est plus logique et plus… classe ! Et tous les chercheurs qui mettent cela en doute ne peuvent que déclencher l’hilarité générale comme ce pauvre Oswald Avery qui s’acharne à torturer ses pneumocoques* pour démontrer le rôle de l’ADN dans l’hérédité contre toute attente de l’intelligentsia académique.
Mais ce que l’on ignore c‘est sous quel aspect se trouve ces molécules d’ADN et comment s’effectue le transfert de ces informations et sous quelle forme. Le mystère est entier. Plusieurs laboratoires constituent des équipes pour élucider ce problème.
Rosalind Franklin revient alors de Paris en 1951 pour être recrutée par John Randal au laboratoire du très célèbre King’s Collège de Londres qui a décidé de mettre le paquet sur la structure de l’ADN. Randal s’est renseigné sur les compétences de Rosalind qu’il juge utiles pour avancer sur ce sujet. Il la met en équipe avec Maurice Wilkins, et précisant discrètement à ce dernier qu’il lui donnait une excellente « collaboratrice ». Pourtant soyons clairs, Rosalind n’est pas embauchée comme collaboratrice de Wilkins mais bien comme chercheuse associée. Mais dans l’esprit de Randall et de Wilkins, une femme ne peut se mettre qu’au service des hommes dans un laboratoire de recherche. Rosalind n’accepte pas cette situation qu’elle refuse et les rapports se tendent entre Wilkins et elle… Mais toujours grosse travailleuse, elle plonge dans son nouveau sujet de recherche et commence à appliquer la diffraction des rayons X à l’étude des matériaux biologiques et plus particulièrement à l’étude de l’acide désoxyribonucléique.
Parallèlement un autre binôme travaille avec le couple Franklin-Wilkins il s’agit de Francis Crick et de l’américain James Watson. Contrairement à Franklin, ces deux derniers ne sont pas des expérimentateurs. En revanche, ils ont compris combien il était important de découvrir le mystère de la structure de l’ADN et ils veulent être les premiers à l’élucider.
Wilkins se plaint d’être exclu des travaux de Rosalind et Randal est obligé de séparer les belligérants. C’est avec un autre collègue, Raymond Gosling, que Franklin réalise ses premiers clichés par spectrographie à rayons X. Car elle est entrée dans le vif du sujet : ses connaissances en cristallographie lui permettent à partir d’images radiographiques, en deux dimensions, de déduire mathématiquement la structure dans l’espace de grosses molécules. En 1952, elle réalise au King’s College de Londres une image remarquable d’une fibre d’ADN. Ce cliché devenu historique sous le nom de cliché 51 va être à l’origine de toutes les déductions qui vont conduire à la compréhension de la structure en double hélice de l’ADN, indispensable pour comprendre son fonctionnement.
En mars 1953, Rosalind décide de quitter le King’s collège tant sa collaboration avec ce mysogyne de Wilkins lui devient insupportable. Mais Randal oblige que les résultats obtenus au Laboratoire restent au King’sCollède. Honnête, Rosalind autorise Goslin, qui a travaillé avec elle, à communiquer les clichés obtenus dont le fameux cliché 51. Préférant faire alliance avec l’autre équipe de chercheur, Wilkins montre alors le fameux cliché à Watson et à Crick qui jusque-là ne réussissaient à rien dans leur laboratoire en imaginant des montages moléculaires avec les billes et des fils de fer.
Franklin, en mauvais termes avec Wilkins qui avait cru voir en elle une assistante, refusait depuis longtemps de lui communiquer le résultat de ses travaux. Toutefois, en mars 1953, ayant décidé de quitter le King's College, elle autorise Gosling à montrer le cliché 51 à Wilkins où Rosalind Franklin parvient à déterminer sa structure de la double hélice d’ADN en distinguant, grâce à ses clichés, les deux hélices, nommées A et B. D'autre part, son supérieur avait demandé à ce que les résultats de ses travaux restent au King College. Wilkins en donne connaissance à l'insu de Franklin à Watson et Crick, qui ont eu aussi accès à un rapport d'évaluation du département. Lorsqu'elle apprend que Watson et Crick d'un côté, et Wilkins de l'autre, vont publier dans Nature des articles sur la structure de l'ADN , elle exige que l'un de ses articles faisant état de la structure soit en hélice soit en tire-bouchon, soit publié dans le même numéro.
Le 25 avril 1953, Nature publie donc les trois articles. Celui de Watson et Crick se contente d'indiquer qu'ils ont été stimulés par une connaissance de la nature générale des résultats expérimentaux et des idées non publiés [de Wilkins et Franklin] et ils affirment dans le corps de l'article n'avoir pas eu connaissance des résultats présentés dans les deux autres articles de Nature qui confirment la structure hélicoïdale qu'ils proposent. Toutefois, Watson admettra par la suite dans The Double Helix que la connaissance de ces données était indispensable pour trouver la solution et que personne au King College, n'avait réalisé que ces données étaient en leur possession. Ainsi, les trois articles parus dans Nature sont complémentaires, mais c'est celui de Watson et Crick qui est le plus mis en avant.
La découverte de la structure hélicoïdale de l’ADN est réellement une découverte majeure pour comprendre le grand mystère de l’hérédité. Car cette double hélice où s’apparient de façon précise des bases azotées avec leurs bases complémentaires. Cette structure est d’une grande robustesse sur le plan chimique et permet une réplication facile. Elle va assurer la synthèse des protéines grâce à sa copie et son transfert par l’ARN messager (acide ribonucléique ne comportant qu’un seul brin de l’hélice) qui ne sera découvert que plus tard. La séquence des bases de l’ADN (Adénine, Thymine, Guanine et Cytosine) est donc un vaste langage universel qui code la fabrication de toutes les protéines donc des enzymes du vivant depuis l’algue bleue jusqu’au gorille ou à l’homme.
Cette découverte mérite évidement la récompense suprême. Le Prix Nobel sera donné en 1962 à Watson et Crick ainsi qu’à Wilkins. Rosalind aurait dû y être associée comme contributrice majeure. Malheureusement elle meurt en 1958, emportée par un cancer de l’ovaire, dans la genèse duquel l’importance de l’irradiation qu’elle a reçue au cours de ses recherches peut avoir joué un rôle. Dans leurs discours de réception à Stockholm, ni Crick, ni Watson ne jugèrent utile d’au moins mentionner le rôle de Rosalind Franklin dans leur découverte. Seul Wilkins prononça son nom.
En 1968, James Watson publie "La double hélice, compte-rendu personnel de la découverte de la structure de l'ADN", dans lequel il se permet de faire des commentaires sur Rosalind, où il met en exergue son (mauvais) caractère et l’accuse d’être une féministe qui gêne la réflexion de ses collègues. Le ton de ce livre, venant d’un Prix Nobel, suscite un certain nombre de réactions et attire pour tout dire l’attention de quelques observateurs sur le rôle joué par Rosalind, rôle que n’avait pas été initialement perçu par les non-spécialistes. Finalement, dans l’épilogue de son livre (10 ans après), Watson admet qu’il s’est trompé dans ses premiers jugements sur le compte de Rosalind Franklin, que le travail de celle-ci avait été superbe et qu’elle avait dû faire face à des barrières en tant que femme de science…
*Avery a été l’objet de critiques épouvantables et on tenta de le ridiculiser, à l'exception de quelques scientifiques comme Burnet et Lwoff, tous deux futurs Prix Nobel
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