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gynécologie

Pourquoi la pilule est-elle aujourd’hui diabolisée et comment lever les craintes de jeunes femmes ?

Le Dr Brigitte Letombe, gynécologue à Paris et Ambassadrice experte d’Agir pour le Cœur des Femmes refait l’historique de la contraception en France et nous apporte des points d’éclaircissement sur son utilisation car tout comme le traitement hormonal de la ménopause, les réseaux sociaux et la médiatisation de certaines histoires ont fait faire un bond en arrière sur le mode de contraception efficace en France avec un risque non négligeable de grossesses non désirées.

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La possibilité effective pour les femmes de contrôler les naissances, véritable symbole de la conquête féministe, est indissociable de l’émancipation de la sexualité et l’arrivée de la pilule contraceptive dans les années 60 en était le fleuron. Autrefois cheval de bataille des féministes du monde entier et plus qu’adoptée en France, la pilule est aujourd'hui l'objet de tous les doutes et de toutes les peurs irrationnelles.

Que s'est-il passé pour qu'en deux générations seulement, inexorablement, un nombre croissant de femmes jettent la pilule avec l'eau du bain ?
Que s'est-il passé en 50 ans, pour que l'ange se transforme en démon ?
Que s'est-il passé pour que les femmes soient à ce point désinformées ?
Un peu d'histoire pour le comprendre…
Début des années 60, les hormones contraceptives arrivent aux Etats-Unis. En France, c'est peu avant mai 68. Au terme d'une année de débats houleux, la loi Neuwirth légalise la pilule le 19 décembre1967. Il faudra encore attendre 1972, le temps des délais d'application, pour que les femmes s'emparent enfin de ce précieux acquis,
Avant la pilule, que se passait-il pour les femmes ?

La loi française de 1920 condamnait à des peines sévères les auteurs ou les complices de publicité ou d'information sur la contraception et l'avortement, autrement dit les médecins, les pharmaciens, les femmes émancipées, prosélytes ou pas.
Toutes celles qui avaient une sexualité dans le mariage ou hors mariage avaient une peur obsessionnelle de la grossesse et elles avaient raison. Quand on a une sexualité régulière, on est théoriquement "programmée" pour avoir douze enfants tout au long de sa vie génitale. Douze enfants ! Ça remet un peu les idées en place. …
Les femmes se sont battues pour cette liberté inouïe, celle de pouvoir « faire l'amour » sans conséquences, de dissocier sexualité et reproduction, de maîtriser leur fécondité sans risquer une grossesse non désirée. En ce sens, elles sortaient de la fatalité millénaire de n'être que des "ventres" voués à la seule procréation. A l'époque de ces premières pilules, si ardemment défendues et désirées, on sortait de 68. L'air du temps était imprégné de slogans incitateurs, "jouir sans entraves".
Les premières utilisatrices disposaient alors de pilules trois à quatre fois plus dosées que celles d'aujourd'hui avec des estrogènes encore plus "forts" et malgré certains effets secondaires bien réels à l'époque," la pilule passait mieux.
Aujourd'hui, avec les pilules de deuxième, troisième et quatrième génération (voir l’encadré Quatre générations de pilules), les femmes bénéficient de pilules beaucoup moins dosées nettement plus sûres au plan métabolique et tout aussi efficaces. Les scientifiques ont du recul, les médecins connaissent mieux les avantages et les risques des différentes pilules, ils savent quelle contraception prescrire, à quelle patiente, en fonction de ses antécédents médicaux, de son hérédité, et de son profil particulier (poids, facteurs de risques…). Les contre-indications de la pilule sont plus que connues et recherchées mais aussi les bénéfices additionnels thérapeutiques qui aujourd’hui sont malheureusement insuffisamment explicités. Ainsi la pilule rebute de plus en plus les femmes ! Après trente ans, une femme seulement sur trois l'utilise quand elle est sous contraception, lui préférant le stérilet tout aussi fiable, mais aussi et surtout un retour vers des méthodes naturelles nettement plus incertaines et contraignantes avec 20% d’échecs.
A partir des années 2000 va naitre le principe de précaution des Autorités de Santé et le risque zéro (« Vaches folles » « Médiator ») et commence à souffler un vent d'écologie sur toute la société, nous allions nous préoccuper davantage de ce que nous mangions, respirions, absorbions, nous allions exiger du naturel et du bio, et du SAIN. Nous allions refaire confiance à Bonne Mère Nature.
Le tournant historique est pris en 2012 avec la mort d’une jeune fille par embolie pulmonaire du fait d’une prescription sans la connaissance du risque thrombophilique de sa famille et surtout la première plainte d’une jeune femme après accident vasculaire cérébral avec séquelles contre un laboratoire pharmaceutique défraient la chronique en 2012. A partir de là, se crée l’AVEP (Association des Victimes Embolie Pulmonaire), les réseaux sociaux et les médias s'emballent, on ne parle plus que des risques de la pilule en scotomisant tous ses bénéfices, mouvement largement aggravé par les prises de position politiques (déremboursement des pilules de 3 ème génération, sortie du marché français de Diane) et recommandations affolantes des Autorités de Santé (ANSM).



Depuis, la perte de confiance vis à vis de la pilule n’a fait que s’accentuer comme le montrent les derniers chiffres publiés par l'Observatoire de la Santé (2016) et un sondage Statita de juin 2018, sur un millier de femmes, révèle que l’utilisation de la pilule continue encore de baisser (32 % d’utilisatrices chez les femmes qui ont une contraception).
Qu'est-ce qu'on trouve exactement dans une pilule ?
Il existe actuellement deux types de « pilules » :
- Les pilules œstro-progestatives (Contraceptions Orales Combinées : COC) désormais toutes minidosées, qui allient deux hormones de synthèse, un estrogène et un progestatif, généralement en prise 21 jours sur 28.
- Les pilules progestatives (souvent nommées micro-progestatives car ne contenant qu’un progestatif : POP pour « Progestatrive Only Pill »). Elles sont à prendre en continu, c'est-à-dire sans interruption entre les plaquettes. Ces pilules sont habituellement prescrites aux femmes pour lesquelles la contraception classique (COC) est contre indiquée.

Encadré : Quatre générations de pilules
La classification des pilules de première, deuxième, troisième ou « quatrième » génération est chronologique en fonction de leur mise sur le marché. Jusqu’à la troisième génération, le progestatif est de la classe des Norstéroïdes avec un effet anti-gonadotrope toujours augmenté permettant de diminuer la dose d’estrogène et un effet androgénique plus faible (moins de problème de peau (acné, pilosité) voire même un effet anti androgénique (recherché dans l’acné
- Les pilules de première génération n'existent plus sur le marché
- Les pilules de deuxième génération, sont actuellement prescrites en première intention à 20 ou 30 mg d'Ethynil Estradiol (EE)  il n’existe plus de pilule normodosée à 50 mg EE sur le marché, la dernière fut Stédiril - Les pilules de troisième ou quatrième générations sont nettement moins dosées en Ethynil Estradiol avec 20 mg voire 15 mg d'EE et associent des progestatifs encore moins androgéniques (donc avec moins d'effets virilisants) appartenant à différentes familles et présentant différentes compositions chimiques. On y trouve aussi des pilules à l’estradiol naturel (Zoely ,Qlaira) et depuis 2022 à l’estetrol (estrogène naturel).

Quelle femme ne doit absolument pas recevoir une contraception œstro-progestative ?  connaitre et rechercher absolument les contre-indications
Les femmes dont un proche parent (père, mère, frère, sœur) ou elles-mêmes ont été victimes d'une thrombose veineuse, c'est-à-dire une phlébite, éventuellement une embolie pulmonaire, avant cinquante ans. Bien sûr quand une thrombophilie a été diagnostiquée mais même sans une thrombophilie étiquetée (50% des thrombophilies ne sont à ce jour pas détectable). Si Le risque mortel avec une phlébite est modeste mais non négligeable (2%), il devient nettement plus préoccupant avec une embolie pulmonaire (10%).
Les femmes dont un proche parent ou elles-mêmes ont été victimes de thrombose artérielle responsable d'AVC ou d'infarctus avant 50 ans.
Surtout toutes les femmes à risque cardio-vasculaire : hypertendues, obèses, diabétiques, avec des troubles des graisses, triglycérides, cholestérol en excès). Les accidents artériels étant bien plus rares mais beaucoup plus graves la mortalité pouvant atteindre 50% !
Ainsi au décours d’un interrogatoire policier et d’un examen clinique, le professionnel de santé sait à quelle femme il peut ou non délivrer la pilule classique (COC) ou un patch cutané ou un anneau vaginal (CHC = Contraception Hormonale Combinée = pilule +patch +anneau ) à la recherche de bénéfices additionnels ou envisager plutôt une contraception progestative seule (POP : Progestatrive Only Pill) voire une modalité contraceptive non hormonale.

Les bénéfices dont les femmes se « privent » en refusant la pilule
La pilule n'est pas seulement un mode de contraception, c'est un "médicament" à part entière. Et pour certaines femmes ou dans certaines pathologies, c'est même le seul médicament efficace.
La pilule permet de gérer son calendrier de règles (voire de les supprimer sans risque). Elle réduit l’abondance des règles en les transformant en « hémorragie de privation », 30% des femmes souffrent en effet de règles abondantes (ménorragies), aggravées avec l'âge, et qui peuvent être suivies d'anémie à cause des pertes en fer induites. Or la pilule (mais aussi les anneaux vaginaux, les patchs cutanées, bien sûr je veux dire, tout approche hormonale réduisent de près de la moitié le flux de règles, ce qui améliore nettement le quotidien et limite, l'inconfort, sans parler de la fatigue due à l'anémie. La pilule agit aussi sur les douleurs de règles (dysménorrhée) en diminuant la synthèse des prostaglandines et s’avère être le traitement de première intention de l’endométriose (10% des femmes).
Chez les femmes qui souffrent de migraines à chaque règle (appelées migraines cataméniales), les pilules COC et POP diminuent de manière spectaculaire la fréquence des crises, surtout si elle est utilisée en continu dans le but de supprimer les règles. Rappelons que les COC (avec estrogènes) sont contre indiqués en cas de migraine avec aura.
La COC est aussi très efficace pour nombre de femmes qui souffrent de syndrome prémenstruel et de maladie fibro kystique mammaire.
Le risque de polyarthrite rhumatoïde diminue lui aussi et ce, d'autant plus avec la pilule qu'on l'utilise longtemps, l'effet est modeste mais significatif : 20% de risques en moins au bout de sept ans.

Quant au risque de cancer ? des craintes souvent infondées

Des témoignages qui circulent sur les réseaux sociaux, et comme "il n'y a pas de fumée sans feu…". En réponse à ces rumeurs et autres hashtag #jarretelapilule, largement relayés par les médias, le Collège National des Gynécologues Obstétriciens Français (CNGOF) a réagi en 2017 avec un communiqué de presse méthodique qui reprend point par point chaque allégation et dont on peut retrouver l'intégralité sur le site www.cngof.fr .
Pour le cancer du sein, la conclusion du collège de médecins est sans équivoque : non, il n'est pas vrai que la pilule augmente le risque. " La majorité des études ne retrouve pas d'augmentation significative du risque de cancer du sein, de façon globale chez les femmes ayant utilisé une contraception œstro-progestative". Différents travaux montrent que si effet stimulant il y a, il se développe sur un cancer déjà existant, mais ce n'est pas la pilule qui transforme les cellules normales en cellules cancéreuses !
Pour le cancer de l'utérus, les résultats sont unanimes, non seulement la pilule n'augmente pas le risque de cancer utérin mais elle le diminue de 30% à 50%.
Pour le cancer du col de l'utérus, les données sont plus floues et peu concluantes, d'autres facteurs interférant sur ce cancer comme la présence de papillomavirus par exemple.
Pour le cancer de l'ovaire, un cancer généralement découvert très tardivement chez la femme, la pilule diminue le risque de 30 à 50% selon le temps de la prise. Plus elle est prise longtemps, plus le risque de cancer de l'ovaire diminue, avec un bénéfice jusqu'à trente ans après l'arrêt de la contraception.
Pour le cancer colo-rectal la réduction du risque de tumeurs est de 20% et l'effet protecteur de la pilule s'estompe dix ans après l'arrêt.
Au final, la conclusion du CNGOF est sans équivoque, le rapport bénéfice risque de la pilule par rapport au cancer est très favorable " les utilisatrices présenteraient même une diminution significative d'environ 10% du risque global de cancer".

Que penser de la contraception d’urgence ? très largement utilisée depuis l’abandon des méthodes de contraception hormonale pour des méthodes naturelles

La contraception d’urgence (CU),ou contraception de rattrapage ou « pilule du lendemain » désigne les méthodes contraceptives qu’une femme peut utiliser pour prévenir la survenue d’une grossesse après un rapport non protégé (DIU à poser dans les 5 jours qui a l’intérêt de fournir une contraception au long cours ) ou plus souvent un comprimé de Levonorgestrel (progestatif) Norlevo® ou Vikelia® dans les 72h ou de l’acétate d’ulipristal (Ellaone®) dans les 5 jours (ces CU sont obtenus sans ordonnance et gratuite pour les mineures ) Plus elles sont prises précocement plus elles sont efficaces, leur répétition n’est pas dangereuse mais finissent par créer des irrégularités de cycle et bien sûr peuvent finir par manquer d’efficacité à la différence d’une contraception hormonale suivie au long cours

Conclusion

Incontestablement la « pilule » ne mérite pas la contre publicité qui lui est faite en ce XXIème siècle, cela d’autant que désormais, sans doute grâce à la crise 2012 2013, elle est prescrite de façon tout à fait précautionneuse et adaptée.
La qualité de vie des femmes en est largement améliorée sans oublier que pour nombre d’entre elles la contraception hormonale est aussi thérapeutique .

Pour en savoir davantage
- Consulter les recommandations françaises sur la contraception 2018 sur www.cngof.fr
- Livre « Femmes, réveillez-vous ». Dr Brigitte Letombe. Editions First

 

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